Anecdotes historiques sur l’olfaction
Prétendre avoir trouvé un point commun entre le nerf olfactif et le pape Jean XXI (1) peut sembler surprenant. Alors qu’en réalité, il en existe non pas un seul, mais au moins trois : une erreur de nom, une erreur de numéro, et un lien (bien que différent) avec un certain plafond. Quelques explications s’imposent.
Tout d’abord une erreur de nom. Celui qui allait devenir le pape Jean XXI s’appelait Petrus Hispanus (Pierre l’Espagnol), or, né à Lisbonne, il était donc de nationalité portugaise. Le nerf olfactif est lui aussi mal nommé puisqu’il ne s’agit pas réellement d’un nerf, mais « majoritairement (d’une) expansion(s) directe(s) du système nerveux central » (2). Effectivement, un nerf crânien a par définition un contact synaptique dans le tronc cérébral, alors que le nerf olfactif (ainsi d’ailleurs que le nerf optique, ou numéro II, que certains désignent actuellement sous le nom de faisceau optique) rejoint directement des formations de nature prosencéphale (3) sans relais préalable dans le tronc cérébral. Petrus Hispanus n’était pas espagnol, le nerf olfactif n’est pas un nerf.
Ensuite une erreur de numéro. Élu pape le 8 septembre 1276, Petrus Hispanus choisit le nom de Jean XXI. Or, il n’y eut jamais de pape appelé Jean XX. Le nerf olfactif porte le numéro I dans la classification des nerfs crâniens établie par le célèbre médecin et anatomiste allemand Samuel Thomas von Soemmering (1755-1830) dans sa thèse de 1778 (4). Sur quel critère se basa-t-il pour attribuer ces numéros de I (nerf olfactif) à XII (nerf hypoglosse)? Tout simplement en fonction de leur traversée de la base du crâne, le numéro I étant le plus en avant et le numéro XII le plus en arrière. Alors où est le problème? En 1894, le dermatologue allemand Felix Pinkus (1868-1947) découvrit dans une espèce animale un nouveau nerf crânien (5) connu depuis sous le nom de nerf terminal; en 1914, son existence, bien que vestigiale, fut confirmée dans l’espèce humaine. Malheureusement pour Soemmering et sa nomenclature, le nerf terminal traverse la base du crâne en avant du nerf olfactif, ce dernier devant donc théoriquement devenir le nerf crânien numéro II. Jean XXI aurait dû être Jean XX, le premier nerf crânien devrait en fait être le deuxième (6).
Enfin, une relation avec un certain plafond. Le nerf olfactif traverse le plafond des fosses nasales. Le pape Jean XXI décéda le 20 mai 1277, écrasé par l’effondrement du plafond de sa demeure à Viterbe…
(1) Mathieu-Rosay J. (1988) Chronologie des Papes. De Saint-Pierre à Jean-Paul II. Alleur, Marabout, p. 280. (2) Louryan S., Vanmuylder N. (2018) Apports de l’embryologie et de l’anatomie comparée à l’enseignement des nerfs crâniens. Morphologie 102 (337) : 111-121.
(3) Le prosencéphale correspond au cerveau dans le langage courant. (4) Soemmering S.T. (1778) Dissertatio de basi encephali et originibus nervorum cranio egredentium libri quinque. Gottingae, Abr. Vandenhoeck Viduam. (5) Pinkus F. (1894) Ueber einen noch nicht beschriebenen Hirnnerven des Protopterus annectens. Anatomischer Anzeiger 9: 562-566.
(6) La classification des nerfs crâniens est toutefois demeurée celle de Soemmering, le problème du nerf terminal ayant été résolu en lui attribuant le numéro zéro : Nieuwenhuys R., Voogd J., van Huijzen C. (2008) The Human Central Nervous System. Berlin, Heidelberg, New York, Springer, 4th edition, p. 356.
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